Pour bien comprendre ce qu’est la métacritique, penchons-nous rapidement sur le cas du roman de Flaubert, roman qui a fait les beaux (et les moins beaux) jours littéraires de la plupart des étudiants français.
La pratique métacritique convoque forcément des voix plurielles, voire antagonistes. Madame Bovary, au XIXe siècle est le récit scandaleux d’un adultère féminin, vivement attaqué pour son immoralité apparente. Au XXe siècle, les théories freudiennes s’étant diffusées dans le public le plus cultivé, le critique relèvera les thèmes de l'aliénation féminine et le désir inassouvi, tandis que le critique contemporain, reconnaissant le roman comme un chef-d’oeuvre, proposera une lecture soulevant des questions de genre, de classe sociale et les liens entre littérature et société. La métacritique favorise donc un dialogue entre différentes écoles de pensée, en confrontant des approches diverses (formalisme, psychanalyse, sociocritique, etc.).
L'évolution de la réception du personnage de Madame Bovary, héroïne du roman éponyme de Gustave Flaubert publié en 1857, reflète les changements de la société et de ses valeurs à travers le temps. À sa publication, Emma Bovary a suscité la controverse, incarnant une femme adultère et insatisfaite, perçue comme un modèle d'immoralité. Cette réception négative, ancrée dans les normes conservatrices du XIXe siècle, a évolué au fil du temps. Au moment de la parution, les femmes sont les premières victimes de la révolution industrielle qui a déjà commencé en Angleterre et qui va s’étendre en France. Les velléités égalitaires de la Révolution de 1789 sont vite oubliées, les familles bourgeoises retrouvent les comportements historiques qui placent la femme en situation de domination. Alors la rêveuse Emma, plongée dans ses livres qui la font s’égarer et perdre le sens du réel, ne peut être que honnie au nom des normes patriarcales du XIXe siècle.
Avec les mouvements féministes du XXe siècle et la montée des études culturelles, Emma Bovary a commencé à être réévaluée sous un nouvel angle. Elle est désormais souvent considérée comme une figure de résistance contre les restrictions sociales imposées aux femmes de son époque. Son désir d'émancipation, ses rêves d'une vie plus passionnée, et son rejet des contraintes bourgeoises ont été interprétés comme des signes de sa quête pour l'autonomie et la liberté personnelle, un écho aux aspirations des femmes dans des sociétés de plus en plus ouvertes à l'égalité des sexes.
Aujourd'hui, Emma Bovary est vue par beaucoup comme un personnage complexe, symbolisant à la fois les limites imposées aux femmes par la société patriarcale et les conséquences de l'idéalisation de la vie romantique et matérielle. La critique la perçoit comme le reflet féminin de Don Quichotte, parce qu’elle tend à confondre la réalité et la fiction. Lectrice fascinée, cette relation névrotique à la lecture dévoile la force de sa passion qu’elle ne peut assouvir dans son quotidien où elle s’ennuie. La critique moderne, à travers la voix de Jean-Marie Schaeffer, met en évidence la particularité de la fiction, sorte de “feintise ludique” où le lecteur suspend pour un temps son libre arbitre pour faire semblant de croire un autre monde : “L'immersion fictionnelle se caractérise par une inversion des relations hiérarchiques entre perception (et plus généralement attention) intra-mondaine et activités imaginative”. Madame Bovary est le symbole de ce changement de paradigme dans la relation avec le lecteur décrit par le prisme de sa fragilité.
La perception de Madame Bovary continue d'évoluer, façonnée par les courants sociaux et intellectuels contemporains, qui interrogent et redéfinissent sans cesse la place des femmes dans la littérature et la société. Aucune approche critique n'est universelle ou absolue. La métacritique insiste sur la diversité des méthodes et sur l'importance de les adapter à différents contextes littéraires et culturels. Nous ne savons pas encore qui sera Emma Bovary demain.
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