Lorsqu'un critique établi porte un jugement sur un auteur dont c’est la première production, il participe à ce que Roland Barthes appelle “critique d'accueil”,.
Pour la rentrée littéraire de 2023, 72 premiers romans ont été publiés, plaisir attendu fait de littérature francophone (Djinns de Sonko Seynabou -Grasset), romans de société (Le diplôme d’Amaury Barthet - Albin Michel), l’autofiction (Prélude à son absence de Robin Josserand - Mercure de France).
Ce chiffre, qui est une constante de l’édition française, témoigne de la richesse et de la diversité de la scène littéraire, avec de nombreux auteurs émergents qui font leurs débuts chaque année. Cette vague de nouveaux auteurs contribue à dynamiser la rentrée littéraire, en apportant des voix nouvelles et des perspectives inédites à la littérature contemporaine.
Mais il faut souligner que cette floraison annuelle de premier roman ne rencontre pas le même intérêt critique que celui réservé à des auteurs institutionnalisés dans le paysage littéraire. Cette divergence se retrouve avant tout lorsqu'il s'agit d'observer la quantité de critiques réservées aux primo-romanciers ou primo-auteurs. Bien souvent regroupés au sein d'articles qui englobent dans une même observation plusieurs auteurs de la même période, (”Les 10 meilleurs premiers romans”, “Premiers romans les coup de cœur de la rédaction”, “Les nouveaux auteurs à suivre”), la critique ne s'arrête pas systématiquement sur chaque titre. Cette globalisation s'organise au détriment des auteurs qui se trouvent intégrés dans un groupe qui ne relève aucune caractéristique discriminante, peu de spécificités d'écriture, et encore moins d'analyse critique. La temporalité (septembre de chaque année) sert de cadre largement réducteur à une critique qui ne prend pas la peine de signaler les écarts d’écriture de ces nouveaux entrants. Ramassées en lots, les œuvres ne bénéficient pas de la dissection critique susceptible de mettre à jour les avancées littéraires de ces auteurs quelquefois très jeunes, capables de bouleverser par leurs innovations langagières et leur implication dans la contemporanéité du temps les fixations langagières et sociétales.
Tenter d'appréhender le premier roman en tant que participant d’une singularité littéraire se révèle une tâche ardue. Le premier roman ne constitue pas un sous-genre en soi. Dans le meilleur des cas, son analyse est déterminée par les succès futurs de l'auteur, où les critiques, analysant l'œuvre de manière rétrospective, tentent de mettre en exergue les prémices de l'écriture et les traits particuliers qui vont constituer les idiosyncrasies de l’écriture. Dans cette situation, le premier roman n'est jamais vu que comme acte d'initiation.
Un roman unique , même s'il réalise un succès d'estime et un succès critique, perd de son caractère introductif, alors même qu'il est est quelquefois suivi de nombreux sujets inaboutis ou de projets non retenus par les maisons d'édition.
La poétique du nouveau roman est à réaliser, malgré la difficulté de poser les contours de son objet propre :
“Les premiers romans constituent-t-il en effet de véritables commencements ? Engagés dans la contingence d'une écriture qui n'a pas encore trouvé à débuter et à s'incarner dans le spectre éditorial, les premiers romans désignent-ils forcément une œuvre inaugurale ? Un premier roman n'est peut-être pas toujours premier, sa primauté ordinale ne désignant pas un absolu synonyme de naissance. Savoir entrer ne revient pas inévitablement à commencer à écrire. Le premier effort d'une telle démarche poétique consiste à interroger ce paradoxe par lequel le commencement semble se retirer à lui-même.”
Le roman introductif est alors considéré comme ce qu’il n’est pas : la tentative initiale de parution d’un auteur sorti de nul part, déposition des premières pensées littéraires, éducation à l’acte d’écrire, révélation créatrice. La critique littéraire isole le roman et ne lui reconnaît pas d’antécédents.
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